*Adapté et retranscrit d’après l’article paru dans la revue Dernière Heure du 11 mars 2000 par Fabrice De Pierrebourg.
» Je transforme les languettes de canettes en fauteuils roulants »
Il y a mille et une façon d’aider son prochain. La manière qu’a trouvé Clermont Bonnenfant le prouve bien. Depuis huit ans, il s’adonne à une cueillette très particulière afin de venir en aide aux personnes handicapées de même qu’aux plus démunis de notre société.
Depuis huit ans, qu’il pleuve ou qu’il neige, un Longueuillois de 42 ans, Clermont Bonnenfant, consacre inlassablement chacune de ses journées à amasser des languettes de canettes de sodas et autres jus afin d’offrir un fauteuil roulant à des handicapés de la région. Sachant qu’il faut plus d’une centaine de sacs à ordures pleins pour espérer obtenir l’argent nécessaire à l’achat d’un fauteuil roulant, on saisit l’ampleur de sa tâche! À ce jour, 22 personnes ont profité de son immense générosité et de son courage sans limites, qui méritent déjà un sacré coup de chapeau. Mais l’histoire prend une autre dimension lorsqu’on découvre que M. Bonnenfant est devenu lui-même handicapé à la suite d’un accident…
Monsieur Bonnenfant, comment avez-vous eu l’idée d’amasser ces languettes de canettes?
Il y a 13 ans, à la suite d’un grâve accident de voiture, j’ai séjourné à l’hôpital Charles-Lemoyne, à Greenfield Park, pendant près de 13 mois. Je suis resté plongé dans le coma pendant un mois et demi. Ça été une épreuve pénible. À tel point que je faisais sans cesse la promesse suivante au Seigneur: « Par pitié, aidez-moi à m’en sortir et j’aiderai les autres à mon tour. » Je m’en suis tiré mais avec de nombreuses séquelles: je suis resté à moitié paralysé, avec des problèmes d’élocutions…À cause de mon état, je n’ai pas pu retrouver du travail. Heureusement que je pouvais compter sur l’aide de ma mère, chez qui j’habite aujourd’hui, et de mes frères et soeurs, car je ne pouvais plus rien faire seul. Pas même marcher! Les années ont passé. Il y a environ huit ans, je me suis rendu dans un commerce où l’on fabrique des clés. Le propriétaire amassait des languettes de canettes pour se procurer un fauteuil roulant. J’ai décidé de lui donner un coup de main et il a pu obtenir ce qu’Il voulait.
C’est ce premier succès auquel vous avez contribué qui vous a incité à faire de même pour d’autres personnes?
Exactement. Avec cet homme, j’ai appris comment il fallait organise la collecte, où apporter les languettes, quel prix demander… Pourtant , au début, je n’étais pas très satisfait de mon « client », qui ne m’offrait que $0.50 la livre. Une misère: une languette ne pèse que quelque grammes. Alors j’ai trouvé un autre recycleur qui m’en donnait $0.60 la livre. C’était un peu mieux mais pas encore assez à mon goût. Enfin, à Ville d’Anjou, j’ai fini par dénicher quelqu’un qui me paye $0.70 la livre.
Combien de languettes faut-il pour acheter un fauteuil roulant?
Chaque fauteuil équivaut à 112 gros sacs à ordures remplis de 20 000 à 30 000 languettes, ce qui fait environ $5.00 le sac. Faites le calcul… Comme je me déplace difficilement, j’ai acheté avec mes propres fonds un triporteur de $1 200.00. Grâce à lui, lorsque le temps le permet, je fais plus rapidement la tournée de mes points de collecte pour ramasser mes sacs et les rapporter à la maison, où ils sont entreposés.
Combien de points de collecte avez-vous réussi à implanter dans votre région?
À ce jour, mon réseau en comprend 72, pour la plupart des restaurants, des dépanneurs, des écoles, des garages, non seulement à Longueuil mais aussi à Montréal et à Pointe-Claire… Sans oublier les organismes, dont le Centre de bénévolat de la Rive-Sud et L’Entraide Chez Nous. La période la plus favorable est l’été, bien entendu: il fait chaud, alors les gens ont plus soif!
Comment faites-vous pour porter le fruit de vos récoltes de Longueuil à Ville d’Anjou?
J’ai un ami qui fait du bénévolat comme moi et qui m’amène en voiture lorsque je dois livrer mes sacs au recycleur. En général, j’attends d’en avoir une dizaine avant de me rendre là-bas. L’ argent récolté est placé dans un compte bancaire spécialement destiné à cette cause.
Le 14 décembre dernier, vous avez offert votre 22 e fauteuil roulant à une dame de 84 ans. Comment choisissez-vous les heureux bénéficiaires?
En général, ce sont les personnes elles-mêmes qui me contactent. Évidemment, chaque fois, elles sont ravies de ce beau cadeau. La dame dont vous parlez habite dans une résidence pour personnes âgées. Elle attendait un fauteuil depuis vraiment longtemps… C’est sa fille qui m’a appelé pour me parler de son cas, de sa difficulté à en acquérir un. Je lui ai dit que sa mère en aurait un dès le lendemain si cela était nécessaire. J’ai tenu parole.
Où vous procurez-vous ces fauteuils?
Désormais, je les achète chez Équipements adaptés, à Longueuil. J’habite dans cette municipalité, alors autant encourager quelqu’un qui y a son commerce! De plus, le propriétaire m’aide beaucoup dans ma tâche; il comprend mon engagement dans cette cause qui me tient à coeur. Nous avons conclu un arrangement tous les deux: j’ai un compte permanent chez lui, de sorte que lorsque j’ai besoin d’un fauteuil je le prends immédiatement, en lui versant quand même un petit acompte. Puis je rembourse au fur et à mesure de mes recettes de vente de languettes.
» J’ai acheté 22 fauteuils roulants avec 75 millions de languettes.
Que souhaitez-vous afin de poursuivre votre oeuvre?
J’aimerais bien avoir mon propre local pour disposer de plus de place et pouvoir faire travailler des gens avec moi.
Vous ne ramassez pas que les languettes de canettes…
Non, je récupère également les attaches de sacs de pain pour venir en aide aux démunis. Je me dis toujours: « Nous mangeons bien tous les jours, pourquoi pas eux? » Ainsi, ces fonds amassés servent à leur procurer des vêtements et de la nourriture.
Comment vous y prenez-vous pour aides ces gens?
De la même façon qu’avec les languettes. Je vends les attaches de sacs de pain $0.25 la livre et, avec l’argent récolté, j’organise des repas communautaires. J’en ai déjà servi deux, avec 80 personnes invitées chaque fois. Hélas, j’ai dû arrêter, car je n’avais plus d’endroit où vendre ces attaches. Or, j’ai déjà près de 35 sacs qui s’entassent chez moi. Il y a urgence. Si quelqu’un est intéressé ou connaît un recycleur, qu’il me contacte. Jusqu’à ce jour, j’ai pu venir en aide à plus de 200 personnes.
Aider ainsi les autres vous a-t-il donné plus de courage?
Bien sûr. Tous les jours, sauf le dimanche, je ne compte ni mes heures ni mes efforts pour aider les autres. Chaque matin, hiver comme été, je pars faire ma tournée selon un itinéraire bien précis. Je charge autant de sacs que possible sur le triporteur, à tel point que ma mère a parfois du mal à me voir, et je reviens ici pour le dîner. Après, je me relaxe…L’hiver, je suis obligé de faire ma tournée à pied ou en autobus, malgré le fait que l’arrêt est assez loin de chez nous. Mais tout ceci n’est rien finalement. J’ai connu des moments terribles après mon accident. Avant que je participe à ces activités de bénévolat, la vie n’était pas rose tous les jours. Depuis ces huit années, je me sens bien mieux.
Si vous souhaitez aider Clermont Bonnenfant, vous pouvez le contacter au (450) 677-3792. |